Depuis plusieurs jours j’ai très mal aux yeux. Ils piquent, ils pleurent, je vois flou et je m’inquiète.
L’ophtalmologiste que j’ai vu en urgence (« Ah, les femmes de confrères !) a interrogé, regardé, mis des gouttes, re-regardé avec appareils sophistiqués, pris la tension oculaire et finalement diagnostiqué une irritation des yeux. Je lui ai dit très poliment que je suis venue le voir non pas parce que mes yeux étaient irrités, mais plutôt dans le but de savoir pourquoi.
« L’ordinateur, » a-t-il déclaré sur un ton péremptoire. « Vous êtes tous pareils, vous les écrivains, vous passez des heures devant votre écran et après vous arrivez chez moi en catastrophe ! » J’ai répondu que c’était plutôt devant mes fourneaux, Noël oblige, et que l’ordinateur avait été totalement délaissé.
Il hésitait, mais pas longtemps. « Je connais un peu la cuisine Anglaise, c’est puissant, je la crois tout à fait capable d’atteindre la cornée. » Il gribouilla deux trois mots sur une ordonnance : « Trois fois par jour, et mangez Français. »
Je suis rentrée à la maison où m’attendait un désordre accueillant. J’ai éclaboussé mes yeux sans grande conviction et commencé à ranger ce débris des fêtes.
Parmi les oublis, plus ou moins volontaires, de mes invités, une quantité d’hebdomadaires. Tous les grands de ce monde, et surtout les moins grands, étalant leur bonheur sans pudeur, et avec sourire. Mes yeux ont croisé la bouche d’un septuagénaire. La douleur fut atroce. Agressives et parfaites, prêtes à vous croquer, à vous déchiqueter, une mise à mort sans quartier et sans anesthésie, les dents partent à l’assaut, avec la puissance d’un laser et mes yeux comme victime expiatoire. Blanches, étincelantes, de taille égale, à perte de vue, partout et never ending, que l’on ait 70 ans ou 30 ans, que l’on soit ministre ou vedette, les dents sont toutes les mêmes. Autrefois elles vieillissaient doucement avec nous, jaunissaient confortablement, avant de se pencher, à peine, telles les pierres tombales qui allaient bientôt nous accueillir. Maintenant on s’éteint avec des dents à faire pâlir un vampire, et une bouche contrainte à sourire pour l’éternité.
J’ai appelé le spécialiste. Il m’a fait une nouvelle ordonnance : lunettes noires et abonnement pour « Science et Nature. »
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