L’œil de la chèvre pétille. Je jurerais qu’elle sourit. « Tu n’as pas l’air en forme, » dit-elle avec une certaine satisfaction. « D’ailleurs, cela se sent avec toutes ces histoires de cimetières et de chrysanthèmes, ce n’est vraiment pas ton genre. » Je m’abstiens de lui dire que les marches en pierre, ayant laissé, amoureusement leur empreinte, m’ont obligée à rester cloîtrée quelque temps ce qui pousse à l’introspection.
Je lui apprends l’arrivée des petits-enfants 3 et 4. « Et numéro 5 ? » dit-elle, l’œil sombre et les cornes à l’affût. Je lui apprends que numéro 5 a des obligations et ne fait pas partie du package. « Et tant mieux, car cette fois, il n’y aura pas de quartier ! »
Il faut préciser que numéro 5 adore les animaux. Adore se balader dans leur champs. Adore se promener avec eux. Adore manier un grand bâton. J’aimerais croire que ses intentions soient honorables, mais j’ai bien peur que numéro 5 ait
un côté sadique inavoué, et adore, aussi, affoler la basse-cour.
« Elle le fera, elle me l’a dit, « souffle Mélodie, en regardant la chèvre en coin. « D’ailleurs, elle s’entraîne, et ça fait mal ! »
Je serais plutôt un disciple de Rousseau. Je défends, mais sans vraiment empêcher, en me disant que la leçon sera salutaire. L’enfant qui se brûle sur le poêle à bois n’a pas envie de recommencer, celui qui saute par la fenêtre du premier étage n’est pas en état de le refaire, celui qui veut absolument goûter l’alcool fort se trouve dans un coma éthylique et ne pose plus aucun problème de discipline, et celui auquel j’interdis d’affoler les animaux, ne va pas tarder à être transpercé par les cornes de l’horrible chèvre.
Je ne suis pas sans cœur. Je lui ferai porter un gilet matelassé.
La commande est passée. J'ai un très joli numéro : 403-2711774-7870748.
En attendant nous allons le jouer au loto, car il y a à peu près autant de chance d'y gagner que de recevoir la commande de qui vous savez.
Je vous tiendrai au courant.
À l'attention de Brigitte, Bénédicte et Joëlle.
Chères lauréates,
Normalement vous auriez dû tenir ce petit bébé tant attendu dans vos bras demain soir, si la poste était en forme, et après demain si le facteur avait des états d'âme. Malheureusement, et j'en suis très contrariée, les premiers exemplaires qui vous étaient destinés ont attrapés une maladie infantiles et seront en quarantaine jusqu'à jeudi soir.
Pour me faire pardonner, alors que je n'y suis pour rien, je vous envoie une carte postale de Roussillon.
Pourquoi Roussillon ? Je vous expliquerai tout demain.
Je vous embrasse
Il est dur pour une mère de lâcher son enfant. Angoissant de le voir sur la place publique livré aux critiques pas toujours tendres.
Mais pour cette naissance particulière j’ai trouvé un allié de poids : 60 millions de consommateurs. Je ne m’y attendais pas du tout et ne sais comment les remercier. (pas les 60 millions, mais plutôt le comité de rédaction.)
Dans une enquête à paraître aujourd’hui, le journal s’attaque aux indélicatesses dans l’agro-alimentaire : poids réduit, prix inchangés, modification dans les recettes avec des ingrédients moins chers and so on. Mes chers futurs lecteurs, vous n’allez pas me croire, mais dans
« Et le Bébé était cuit à point » il y a tout cela et plus encore. Je n’en reviens pas moi-même et ma propre clairvoyance m’épate. Surtout car ce petit livre avait débuté il y a plus d’un an.
L’éditeur fulmine, car il ne sera pas en rayon avant la mi-octobre.
Mais reste la satisfaction de savoir que la fiction prévoit et devance, toujours, la réalité.