Victor Hugo est en train de couver. Soyez sans crainte, il ne s’agit pas du grand poète ressuscité, mais de la canne barbarie. Si vous vous souvenez, elle a été baptisée « Victor Hugo » l’année dernière étant la seule rescapée de sa couvée. (« Et si il n’ en reste qu’un, je serai celui-là. ») Depuis elle résiste à tous les pogroms. Et maintenant elle couve. Merveilleux, pensez-vous, le renard a fait des ravages, Victor Hugo va réparer tout cela. Voilà ce qui se serait passé dans le meilleur des mondes, mais vous savez tous que, dans la nature, le meilleur des mondes n’existe pas.
Il y a un mois environ, le renard a dégusté les derniers canards dans une nuit d’atroce boucherie et depuis, les cannes sont installées dans un harem sans Sultan.
Le berger qui était autrefois médecin a essayé de lui expliquer, avec le plus de ménagement possible, qu’elle était assise sur un paquet d’œufs stériles. Au début elle a refusé de répondre, puis devant son insistance elle a levé sa belle tête noire et blanche et d’une petite voix fluette a déclaré : « Et l’immaculée conception, tu n’en as jamais entendu parler peut-être ? » Le berger est resté sans voix. « Il ne reste plus que trois cannes, et les deux autres sont vouées au sacrifice dans un avenir proche. » Elle baisse la voix : « Tu n’as jamais remarqué que je ne suis pas comme les autres ? « Pas vraiment. « Mais si, moi, je sais voler, c’est pour cela que je résiste à tout… » Réflexion faite, on la retrouve souvent sur le toit de la bergerie, contemplant avec un léger mépris, les autres palmipèdes qui ne font que marcher à défaut de nager. « Si je suis différente, c’est qu’il y a une raison...» Le berger réfléchit, mais ne trouve pas. « Mais si, je suis choisie entre toutes les cannes… » Silence compréhensible de la part du berger. « … entre toutes les cannes pour mettre au monde un, ou plus probablement plusieurs, sauveurs aux pieds palmés. » Stupéfaction teintée d’hilarité. « Et il a été dit que… »
Le berger n’a pas attendu la suite.
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