L’éditeur avait dit qu’il fallait lire le texte à haute voix, Cathulu avait suggéré le « gueuloir » de Flaubert, alors le texte sous le bras, je pars à la recherche d'une audience. (Le nuage noir, toujours présent, ancré fermement maintenant entre les omoplates, me rapprochant, malgré moi, de Victor Hugo.)
Le berger, en train de massacrer un arbre à la tronçonneuse, me fait comprendre que mes textes ne sont pas une priorité, alors je prends la direction de la basse-cour.
Le mistral s’en donne à cœur joie et les animaux sont tous rassemblés dans la bergerie. En me voyant arriver, manuscrit sous le bras, leurs réactions sont mitigées.
« Si c’est la même histoire que la semaine dernière commence Mélodie, « je préfère le mistral, même si il décoiffe. » (Il faut dire que nous sommes en froid. Pensant lui faire plaisir je lui avais dit que le guide du désert était probablement à moitié Corse. Elle l’a très mal pris. ) L’horrible chèvre suit en disant que deux fois, c’est largement une fois de trop, et le frère et la sœur partent également, solidarité oblige. Je m’adresse donc aux moutons, mais pas longtemps : « Si tu crois nous avoir avec une histoire à lire c’est râpé, tu peux dire au vétérinaire de repasser ! » J’ai beau jurer que ce n’est pas une ruse pour les enfermer en attendant une prise de sang pour détecter une maladie qu’ils n’attraperont jamais, et une vaccination aussi improbable, je ne suis pas convaincante. Ils gagnent le large avec une rapidité impressionnante, me laissant avec les oies et les poules. Pas vraiment l’assistance rêvée, mais lorsque l’on est inconnu, même chez soi, on se contente de peu. Je prends donc ma voix des grands jours, juste ce qu’il faut d’accent pour plaire, pas trop pour rendre sectaire, et démarre… Pour être interrompu aussitôt par la voix policée du jar : « Si vous permettez, je souhaiterais vous poser une question, » la tête légèrement inclinée et l’œil plus rond que rond. « Mes femmes et moi envisageons, dans un très proche avenir, plusieurs couvées, alors il est de mon devoir de vous demander si, dans ce texte que vous vous apprêtez à nous lire, il y a des passages qui peuvent incommoder une oie en devenir de maternité. » Ma réponse, chers lecteurs futurs, ne peut être qu’affirmative. Exit les oies. Je suis maintenant en tête à tête avec trois poules. Je leur suis reconnaissante de ne pas avoir quitté ce petit salon littéraire, mais à peine gênée, car de toute la basse-cour, c’est elles qui m’intéressent le moins, j’en parle peu d’ailleurs, et pourtant elles sont les seules à me soutenir. J’en suis émue. Je lisse les pages, me redresse à
peine : « Il était une fois… »
« Tu peux parler moins fort, » coupe la plus grosse d’une voix légèrement éraillée, « nous sommes en train de pondre. Cela ne se fait tout seul, il faut une sacrée dose de concentration, alors tu serais gentille d’aller déclamer ailleurs. »
Je suis incomprise.
Mais le nuage noir s’est envolé avec le mistral.
Mon manuscrit aussi.
Ah non, faut le rattraper !!!
Rédigé par : cathulu | 13/03/2008 à 18:02
cathulu : je pense que les chèvres l'ont mangé.
Rédigé par : Mary dollinger | 13/03/2008 à 18:13
Il est décidément difficile de trouver un auditoire attentif.. et un tant soit peu délicat!!
Bon, il faut les comprendre, chacun vaque à ses occupations quotidiennes, noyé que nous sommes tous dans l'immédiateté...
Je pense qu'à ta place, je me serais posté devant une glace.. (réfléchissante n'est ce pas, et non rafraichissante, quoique, l'une n'exclut pas l'autre après tout).
Ou alors ... dans un cimetière... là au moins, personne ne se révèle contrariant!! Et c'est d'un calme....
Bon, je t'aurais volontiers servi d'auditoire. Mais je suis loin. Et occupé. Moi aussi.Le rouge me monte au front...
Mais pour le suivant, je me libèrerai.. Promis!!
Rédigé par : Gilgamesh | 15/03/2008 à 22:40
Gilgamesh : tu parles de cimetière, ce qui me fait penser au merveilleux film de Cassavetes avec Gena Rowlands et le petit garçon qui parle, justement, au cimetière...
Rédigé par : Mary dollinger | 16/03/2008 à 17:22
Dur parfois cette impression d'être incomprise ! Je veux bien remplacer les poules moi ! Tu m'appelles quand tu veux !
Chat l'heureusement
Joëlle
Rédigé par : LE CHEMIN DU BONHEUR | 16/03/2008 à 18:18
Joëlle : trop contente de t'entendre de nouveau ! Bises
Rédigé par : Mary dollinger | 16/03/2008 à 21:06