Ma montre n’est plus à l’heure, personne ne parle français, ni anglais d’ailleurs, il n’y a aucun doute possible, je suis bel et bien à Istanbul. Je quitte l’avion à regret, car lorsqu’il est totalement à l’arrêt, je éprouve pour lui une certaine tendresse. Je passe le contrôle de police, (sévère car tout touriste est forcément un délinquant en puissance), récupère ma valise et pars à la recherche du chauffeur, que je ne connais pas, et qui m’attend. Nous avons déjà été accueillis de la sorte,(normalement le berger est du voyage mais cette fois-ci il s’est fait porter pâle) mais le chauffeur était toujours accompagné de petits-enfants gesticulant et criant. Dans ces conditions impossible de se prendre pour autre chose que ce que nous sommes. Cette fois tout est différent : nouveau chauffeur, inconnu et seul. Moi également. Mon imaginaire prend le large.
J’ai décidé, alors, d’en faire un maximum : faisant semblant de chercher, hésitant, légèrement ennuyée, à peine. Totalement blasée. Mais, bien entendu, il m’a repérée tout de suite. Moi aussi. Même pas le temps de lire mon nom sur le carton qu’il tient délicatement, de jouir de cette célébrité qui n’en est pas une, car il est déjà à mes côtés, prenant tout, sac, valise, et ordinateur, (une demi page écrite en une semaine, je ne m’améliore pas.) Je suis sans voix, une chance mon turc étant inexistant, car il est trop beau.
Son prédécesseur affectionnait le style baroudeur : chemise à carreaux, gilet reporter, coupe en brosse, et transpirait en toutes circonstances. Son remplaçant porte un complet en alpaga, une chemise dont la blancheur fait mal aux yeux, et une cravate nouée par une femme aimante. Fascinée, je croise son regard, et là, dans ses yeux loukoum, je rencontre mon image : tout de jeans vêtue, cheveux en bataille, visage à la dérive. Comment ai-je pu manquer à ce point-là un rendez-vous qui ne se reproduira plus jamais ? Les enfants rentrent en France cet été et ils ne ramenereront pas le chauffeur dans leurs (nombreuses) valises, hélas!
« I don’t speak english » dit-il, qui est une entrée en matière comme une autre. Ayant déjà utilisé la totalité de mon vocabulaire turc, « Mehraba » et « tesekkur ederim » je ne vais pas lui jeter la pierre.
« Come », dit le monoglote, car je suis clouée sur place en train de réaliser que c’est Anthony Perkins personnifié. Pas le Norman Bates qui s’apprête à faire regretter à Janet Leigh une propreté excessive, mais le fils de famille d’ »Aimez-vous Brahms » qui fait chavirer une Ingrid Bergman très belle, mais aux pieds résolument plats.
En frôlant le Bosphore et en traversant la Corne d'Or je mesure la supériorité de la voiture par rapport à l'avion.
Diable! le printemps est de retour!
... avec Anthony Perkins!
Cela me rappelle un certain épisode de "Au secours Mrs Dalloway": gare à la Cadillac garée dans le massif de bégonias !!
Rédigé par : Gilgamesh | 19/04/2008 à 12:30
Gilgamesh : je n'y avais pas pensé, sauf qu'ici le ratio des âges est inversé...
Rédigé par : Mary dollinger | 21/04/2008 à 10:04