Les Anglais sont repartis et la vie reprend son cour. Nous avons fait tout ce que l'on doit faire lorsque l'on reçoit des Anglais : boire du thé qui ressemble à l'eau du Gange, sortir quelques bonnes bouteilles, manger déraisonnablement ( cela comprend des croissants au petit déjeuner tous les jours, presque aussi mortel que le Christmas pudding)( voir "Une mort dans la famille"), visiter ce que nous visitons à chaque fois que nous avons des étrangers à la maison, et, bien entendu, parler anglais non stop. Nous étions tous heureux de nous retrouver, tristes de nous quitter, et passionnés d' aller voter. Pas nous particulièrement, mais les anglais, qui devaient partir dimanche matin, ont décrété qu'ils ne voulaient pas s'en aller avant d'avoir vu comment on votait en France.
La mairie, au coeur de notre petit village, était noire de monde. J'étais assez fière de ce sursaut de civisme inhabituel, en plus le maire était en résidence et cela fait toujours de l'effet de dire : " Monsieur le Maire, je vous présente..." là où les Anglais diraient :" Hello Charles, Richard ou Marcel." Je ne me lasserai jamais de ce pays où l'on peut dire à longueur de journée : " Monsieur le Maire, Monsieur le Directeur, Monsieur un peu n'importe quoi, et bientôt, grâce à notre assiduité aux urnes : " Monsieur le Président." Enfin, nos Anglais étaient impressionnés, et se sont majestueusement inclinés devant notre chef du village. Et puis les choses sérieuses ont commencé.
Sur la table de petites piles, toutes mignonnes, de bulletins étalés de gauche à droite, mais pas vraiment dans le sens que l'on pouvait imaginer, Jean-Marie Le Pen se trouvant en plein centre. Et je commence à en ramasser. "Tu vas voter combien de fois ?" dit mon amie qui n'avait pas encore saisi les subtlilités du système français. Je lui explique dans un anglais extrêmement rapide au cas où il y aurait quelques polyglottes en embuscade, que l'on n'a pas le droit de prendre qu'un seul bulletin. La toute première fois que j'ai voté en France, j'ai pris un bulletin et m'apprêtais à m'installer confortablement dans l'isoloir pour plier ce joli morceau de confetti, lorsque je me suis fait reprendre vertement pas quelqu'un d'important qui m'explique que c'est illégal de prendre un seul bulletin, que le vote est secret et que si je ne prends qu'un, ce n'est plus secret du tout. Depuis je me suis améliorée et c'est avec l'équivalent d'un jeu complet de 52 cartes que j'entre dans l'isoloir où je passe un long moment à trier tout cela. Car bien entendu, pour tromper l'adversaire, il faut laisser derrière vous énormément de bulletins de celui ou celle pour lesquels vous ne voulez surtout pas voter. Si ce système vous semble logique, levez la main, s'il vous plaît, car, personnellement, j'ai mes doutes. En tout cas les Anglais étaient épatés et ont même réussi à garder leur sérieux lorsque l'on a dit d'un voix toniturante : " Northover Marie, épouse Dollinger a voté." Comme vous remarquerez mon nom de famille est particulièrement ardu, mon passage aux urnes provoquant soit une franche hilarité, soit une gène à peine anglophobe, selon.
Alors ils sont repartis, serrant dans leurs mains d'Anglais quelques bulletins variés que j'avais puisé dans ma vaste collection droite-gauche. Était-ce légal ? A-t-on le droit de soustraire à l'état ces petites feuilles si légères qui peuvent peser si lourd ? Que peuvent faire des touristes anglais, bien paisibles en apparence,
(mais il ne faut jamais se fier à l'apparence d'un Anglais,) de ces petites choses françaises devenues, maintenant, inutiles ? Je n'ose pas y penser. Je me sens un peu traître, un peu félon, et comme pénitence je vais apprendre les paroles ( toutes les strophes) de la "Marseillaise" par coeur. Et acheter un drapeau.
Si joliment écrit
Rédigé par : lomi lomi | 28/04/2007 à 14:43
En reprenant le commentaire de LOmi Lomi, moi aussi je trouve cela très joliment écrit. Et la visite de tes anglais en France me fait penser aux nombreux français qui viennent nous rendre visite à Berlin... Je commence à un peu trop connaitre les monuments berlinois mais je me dis aussi que l'année prochaine je n'aurai plus l'occasion de le faire...
Rédigé par : Sarah | 01/05/2007 à 13:50
Moi aussi je voulais expliquer tout ce rituel, non pas aux touristes de passage, mais simplement à mes filles, comme mes parents l'avaient fait pour moi. Mais elles n'ont pas eu le droit d'entrer dans le bureau de vote... leur souvenir se limitera à leur initiation gustative thai (le resto le plus proche, heureusement pas trop épicé) et au passage sur la place de jeux publics à proximité... et demain, sous la pluie, il faudra leur inventer un autre prétexte de sortie.
Rédigé par : Kerleane | 05/05/2007 à 13:56