Hier il a fait exceptionnellement beau. Assise devant la bergerie, plein sud et pas un brin de mistral, je cherchais l'inspiration pour un peu n’importe quoi en regardant les animaux vivent leur vie. Mélodie, la chèvre noire que vous ne connaissez pas encore et qui n’a rien à voir avec l’obsédée de tout dont il a été beaucoup question ici, est venue passer un moment avec moi. Mélodie, comme son nom plutôt fluet n’indique pas, est énorme. La préférée du berger, elle est aussi longue que large, et un de ces jours elle va tout simplement imploser. J’ai mis le berger en garde plusieurs fois, mais il prétend avec la plus parfaite mauvaise foi, qu’elle n’a pas un régime de faveur. En attendant le dénouement inévitable, elle est d’une très agréable compagnie. Elle voulait des nouvelles du Salon du Livre de Lyon qui a lieu ce week-end, car c'est une romantique qui rêve de la grande ville. Elle s’imagine
flânant le long des quais de la Saône, buvant un verre Place Bellecour, grimpant la colline de Fourvière et faisant les boutiques de la presqu’île. Je ne sais pas très bien ce qu’une chèvre obèse peut espérer trouver chez Vuitton ou Christian Dior, mais il serait cruel de lui ôter ses illusions.
“Comment cela se passe un Salon du Livre ?,” chuchote-elle de sa voix à peine sucrée. Je lui décris la tente Place Bellecour, les rencontres, les écrivains partout, tutoiements de rigueur, une ambiance un peu colonie de vacances littéraires. Je lui raconte les petits potins de l’édition et que l’année dernière une vieille dame, très digne, m’avait prise pour Virginia Woolf. Là, j’attends une réaction, qui ne vient pas. C’est vrai que Mélodie lit surtout Barbara Cartland et les romans photos. Alors je lui explique comme l’ écriture de Virginia Woolf a marqué la littérature anglaise du vingtième siècle. “Comment sont ses
héros ?” demande l’incurable romantique. Je réfléchis, mais suis bien obligée d’admettre que c’est un genre que Virginia Woolf n’a pas encore exploré. Je sens sa déception. “Mais ses livres se terminent bien au moins ?” Là également je ne vais pas pouvoir lui donner satisfaction. “Alors je ne les lirai pas”, conclut elle tristement. J’essaie de lui expliquer que parfois l’écriture prime, l’histoire devenant presque secondaire. Elle n’est pas convaincue. Mais il y a pire. L’horrible chèvre, celle qui terrorise petits et grands, a eu vent de cette innocente conversation littéraire et arrive, toutes cornes dehors, pour y mettre son grain de sel.
“Tu lui as encore raconté que l’on t’avait prise pour Virginia Woolf je parie.” J’acquièsce froidement. “Entre ton mari qui envoie les enfants à la rivière pour vérifer que tu n’es pas en train d’y faire une petite promenade avec les poches remplies de cailloux, et le bureau que tu exiges au deuxième étage sous prétexte qu’il y a trop de distractions au rez de chaussée, tu commences à devenir une vraie emmerdeuse !”
Je n’ai pas répondu car, pour une fois, j’ai bien peur que le détestable animal ait raison.
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