Hier pour fêter convenablement les « Rois » et comme prix de consolation dû au grand froid, j’ai apporté une galette aux animaux. Pas pour les canards ni les poules. Les premiers n’aiment pas le sucré et les deuxièmes ne tiennent pas en place suffisamment longtemps pour déguster quoi que ce soit. Mais pour les restants j’avais fait 10 jolies parts : 3 oies, 4 chèvres et 3 moutons.Ils m’attendaient à la barrière, groupés, dos au mistral et tout de suite le plus grand des moutons, un bélier nommé « Jules », a pris la parole.
« Nous, c’est-à-dire ma mère, ma sœur et moi, nous avons une requête à te faire. Nous voudrions que tu fasses une crèche vivante. » J’explique que nous sommes le 6 Janvier, que demain les habitants principaux de la crèche partent en Egypte pour éviter d’être massacrés. Que là-bas, frappés par les pyramides et envoûtés par le sphinx, ils seront saisis d’une amnésie foudroyante et collective qui va leur permettre de rempiler l’année prochaine comme si c’était la première fois. Alors que pour cette année la crèche vivante n’est plus d’actualité.
« Au contraire, » continue Jules d’une voix douce mais ferme, « nous pourrions profiter pour faire une sorte de répétition générale. Toi, tu t’appelles bien « Marie ». Si on veut. « Alors bien que tu sois un peu âgée pour le rôle et franchement pas vierge, tu seras la mère. On te mettra tout au fond, et un peu en contre-jour. Tu feras très bien. » Je suis flattée. « Le berger ne sera plus berger, mais Joseph. C’est un rôle où il n’y a rien à faire, vraiment de la figuration, cela le reposera pour une fois. Et nous autres nous serons tous autour. En extase. » En extase peut-être, mais ils semble avoir oublié l’essentiel. « Pas du tout. Je prends numéro 6. Il sera parfait. » Je lui fais remarquer que numéro 6 a maintenant 16 mois et ne tient pas en place deux secondes. Le petit bélier rit. Un petit rire cristallin, pas très viril. (J’ai dû vous expliquer pourquoi dans une précédente note.) « Tu as été élevée à la campagne et tu ne sais pas comment faire ? Tu mets trois cuillères à soupe de bière dans son biberon, et il va dormir comme un bienheureux. » J’ai effectivement été élevée à la campagne mais n’ai pas la notion que mes parents mettaient de la bière dans mes biberons. J’étais un bébé exemplaire. Mes parents vantaient mes longues nuits paisibles. Peut-être, après tout, m’ont-ils ensuquée à la bière à mon insu. Et au lieu d’être un bébé exceptionnel, j’étais juste ivre morte tous les soirs ? Comment savoir la vérité car je suis orpheline. À qui m’adresser pour savoir si je dois avertir les services sociaux et faire condamner mes parents par contumace post mortem ?
Comme il faut toujours positiver même dans les pires situations, j’ai averti Jacques André qu’il doit modifier immédiatement mon CV, jusqu’à présent d’une totale inutilité car tellement ennuyeux, et mettre en caractères gras « enfance défavorisée, parents abusifs. »
Mes ventes vont s’envoler.
Marc Lévy n’a plus qu’à bien se tenir.
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