« Qu’est ce qui est arrivé à ta chèvre ? » Le vétérinaire a l’air perplexe. (La chèvre sourit bêtement.) Je lui dis que je n’ai rien remarqué de particulier, qu’elle mange normalement et se promène comme d’habitude. « Tu ne vois pas qu’elle louche ? » Effectivement ses grands yeux globuleux se sont étrangement rapprochés et elle sourit toujours. « Je la trouve bien calme. Elle n’est plus…, » là il cherche ses mots, car l’homme est pudique, « elle semble plutôt… , » il cale de nouveau. J’ai pitié de lui et suggère que ses hormones, (celles de la chèvre et non pas celles du vétérinaire qui est plutôt asexué,) semblent en berne. « Exactement, » s’exclame l’homme de science. »Et puis il y a autre chose, » il hésite un instant, frotte une botte contre l’autre pour se donner une contenance, « elle sourit ». Et c’est bien ce qui est le plus inquiétant. Il faut préciser ici que le vétérinaire n’est pas venu pour les animaux, mais uniquement pour le pastis, (deux bien tassés) et que s’il regarde la chèvre c’est parce qu’il a l’habitude de garer sa voiture à côté du champ où se trouve la basse cour. « Tu la surveilles quand
même, » conclut-il ouvrant la porte de son immense et très polluant 4x4. « Elle n’est plus toute jeune, » il hésite encore, « tu y es très attachée, je le sais. » Et sur cette note plutôt déprimante, il disparaît dans un nuage de quelque chose qui ne fait sûrement pas du bien à la planète.
Je retourne vers la chèvre, décidée à en découdre. Je commence en lui posant la question qui est l’évidence même : pourquoi sourit-elle ? « Mais," dit elle tout doucement d’une voix mielleuse que je ne reconnais pas, ses yeux roulant comme des billes en folie, « je souris parce que le berger m’a dit que tout s’est très ,très bien passé à Lyon, alors je suis contente pour toi. »
Je rentre à la maison en courant et appelle le vétérinaire sur son portable. Il y a urgence. La chèvre est vraiment malade.
voir le commentaire d'Anne-Sophie Demonchy "La Lettine" sur son blog en date du 14 novembre:
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