Dans cette aventure littéraire, ce que je déteste le plus, ce sont les corrections. J’ai beau lire à l’endroit, à l’envers et upside down, je n’ai pas l’œil, et à partir du moment qu’un mot est tapé, à plus forte raison imprimé, je le trouve parfait.
On commence avec le tapuscrit, suivent les épreuves pdf, et ensuite les épreuves proprement dites. C’est ardu, ennuyeux, extrêmement important, et je n’y arrive franchement pas.
Avec les épreuves pdf à la main, je décide de chercher de l’aide chez notre ménagerie diverse. Me souvenant du chagrin de la poule blanche, je débute chez les pigeons qui n’ont pas été souvent à l’honneur ces temps-ci.
J’interpelle un très beau texan qui roucoule avec insistance et lui explique que son aide serait la bienvenue. « Tu n’y penses pas, je suis occupé. Au cas où tu ne serais pas au courant, c’est le printemps et j’ai un emploi du temps très chargé. J’ai été obligé de leur donner des numéros.» Effectivement, on fait la queue, un harem bariolé est en attente. Il faut dire que le texan a fière allure. « Pourquoi me regardes-tu ainsi ? » C’est plus fort que moi, je le vois arrosé de porto et entouré de lardons. « Et tu rougis ? » J’ai dû piquer un petit fard malgré moi. « Je ne t’aurais pas crue prude à ce point-là ! » conclut-il un brin méprisant. Je le laisse à ses illusions, note que je dois racheter du porto et pars en direction de mes caprins adorés. Ici, je ne trouve que Mélodie, le reste du cheptel est au fond, fond, côté sud, en train de se bronzer tranquillement.
Mélodie, la toute noire donc dispensée d’excès de soleil, est enthousiaste. Je lui tends les feuilles, et les lui tourne lentement.
Elle lit tranquillement préface et prologue et attaque l’essentiel. Après quelques pages : « Je ne comprends pas très bien il n’y a que de la conversation ! » Je lui explique qu’il s’agit d’une pièce. « Une pièce de quoi ? » continue-t-elle avec une logique implacable. Je lui fournis quelques explications techniques, ainsi que des notions de dramaturgie glanées chez mon éditeur. « Ce n’est toujours que de la conversation. Moi, ce que m’intéresse c’est de savoir ce que pensent les gens, non pas ce qu’ils disent. Lorsque quelqu’un remarque qu’il va bien, la plupart du temps c’est faux, alors tout l’intérêt reste à plonger dans son for intérieur pour atteindre la face cachée. » Elle hésite un instant, l’œil aussi noir que le pelage, avant le coup de grâce : « Je suis désolée, mais ton texte ne m’intéresse pas. » Avec un petit coup de corne, elle ferme délicatement les feuillets. « Je te signale, tout de même que "âge" est masculin."
Je retourne à la maison songeant que Mélodie n’est peut-être pas aussi douce que je le croyais et en constatant, amèrement, qu’après tant d’années de vie française, je ne connais pas le genre de mon âge.
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